2 décembre 2013

Le label EcoQuartier, nouvelle école de pensée de l'urbanisme ?

"Rêve de bobo, technocrate ou promoteur, l'Ecoquartier ne doit pas être une réserve d'Indiens coupée de la ville, mais un laboratoire grandeur nature des bonnes pratiques."
Alexandre Chemetoff

Un mois après la conférence de presse qui a vu la ministre Cécile Duflot décerner les trophées des labels EcoQuartiers, quels enseignements peut-on tirer de ce label qui voit le jour après une longue gestation entamée en décembre 2012 ?

Comme nous l'avions évoqué dans nos deux précédents billets sur la mise en place du label EcoQuartier, l'objectif de la création de ce label est de distinguer les projets d'aménagement les plus innovants et exemplaires en matière d'urbanisme durable. Pour cela, le ministère de l'Egalité des territoires et du Logement a établi une grille d'évaluation précise des projets et a distingué à l'heure d'aujourd'hui  une première promotion de treize projets labellisés et trente-deux autres engagés dans la labellisation. (cf. liste complète sur le site du Ministère)

Certaines des opérations qui ont été distinguées sont connues pour leur ampleur et les procédés qui ont été mis en œuvre, tels que le Trapèze de Boulogne-Billancourt ou encore la ZAC de Bonne à Grenoble. A l'inverse d'autres opérations sont bien plus méconnues, tel que le projet de cœur de bourg de la Rivière ou encore Faux-la-Montagne.

Retrouver dans un seul et même label le Trapèze de Boulogne-Billancourt (114 205 habitants) et le projet de Four à Pain de Faux-la-Montagne (366 habitants) peut étonner. Ce label a mis sur le devant de la scène des projets tant urbains que ruraux. Face à une telle diversité on peut s'interroger sur le sens d'un tel label.
Le Trapèze, Boulogne-Billancourt - source : blog archiphoto.com
Le projet du Four à Pain, Faux-la-Montagne - source CAUE 23
Modèle urbain prôné par LEED-ND et le Nouvel Urbanisme - source : www.usgbc.org
Le projet de Faux-La-Montagne, au delà des considérations environnementales, se distingue par la très forte dimension participative de ses habitants, avec notamment le recours à des ateliers d'écriture architecturale et paysagère. Cette forte implication des habitants est plus facilement réalisable pour un projet qui compte 12 parcelles (de 700 à 100m²) que pour un projet de 74 hectares comme le Trapèze. Le projet de Faux-la-Montagne, à la différence toujours de Boulogne-Billancourt, ne prône pas une densification. Ce n'est pas la lutte contre l'étalement urbain qui a motivé la conception de ce projet. Malgré toute la bonne volonté possible, il reste difficile de vendre un pavillon mitoyen à des personnes qui viennent s'installer à la campagne pour davantage de tranquillité et qui ont le plus souvent le désir d'être propriétaires d'un pavillon dont on fait le tour. A l'inverse à Boulogne-Billancourt, le propriétaire recherchera une intensité urbaine toute autre, avec la proximité immédiate de commerces, de transports, et la mitoyenneté est un fait accepté. Ce qui étonne donc c'est de voir l'écart entre deux projets que des mêmes indicateurs ont valorisé.Les indicateurs retenus par le Ministère peuvent-ils être réellement tout aussi pertinents pour un projet en milieu dense comme à Boulogne-Billancourt que pour un bourg rural de la campagne creusoise ?

Le terme d'écoquartier a-t-il réellement la même signification à Boulogne-Billancourt qu'à Faux la Montagne ?

Il est vrai que ce label est né dans un contexte où l'urbanisme français continue d'évoluer avec la peur du modèle unique qui a été l'erreur de l'urbanisme fonctionnaliste d'après-guerre. Ce label a le mérite de ne pas prôner un modèle unique ni une méthode unique. Néanmoins, à trop s'ouvrir à la diversité, difficile aujourd'hui de distinguer ce qui caractérise un écoquartier à la française.

Quel est le rôle de ce label ?

En premier lieu au niveau national, il doit trouver sa place dans le paysage de normes, certifications et autres démarches formalisées d'aménagement durable : la certification HQE Aménagement, les Approches Environnementales de l'Urbanisme, la norme ISO 14001, les démarches HQE²R ou @d... Pourquoi un label de plus ! Celui-ci est l'un des seuls à mettre l'accent non seulement sur l'environnement mais aussi sur le capital humain. Mais son rôle principal est de cadrer l'usage du mot écoquartier, qui est devenu un outil de marketing territorial pour toutes les collectivités locales. Ce label est censé permettre de faire un peu le tri parmi l'utilisation à outrance de ce terme. En arrière plan, se pose aussi la question de savoir quelle diffusion doit avoir ce label : doit-il être limité à un nombre très restreint de projets qui se distinguent pour leur exemplarité ou doit-il être plus généralisé et être attribué de manière systématique aux projets vertueux ?

En second lieu, au niveau international, ce label est un outil pour permettre à la France de mettre en avant à l'échelle internationale ses écoquartiers.

En effet, les démarches d'aménagement durable fleurissent un peu partout dans le monde: BREEAM Communities au Royaume-Uni, LEED Neighborhood Development en Amérique du Nord, Casbee for urban Development au Japon, Reference Framework for au Sustainable Cities en Europe...

Derrière tous ces labels, est-ce une école d'urbanisme qui ne dit pas son nom qui commence à faire jour : l'urbanisme durable ?

Il est intéressant de noter les différences d'approche entre ces pays. Par exemple la certification LEED-ND revendique haut et fort sa filiation avec le Nouvel Urbanisme. Ce courant a fait suite au post-modernisme en Amérique du Nord, mais n'a pas connu un grand succès en Europe. Au contraire, depuis le post-modernisme en Europe, aucune école d'urbanisme ne s'est imposée. Il n'est pas étonnant alors de voir naître des labels comme le label EcoQuartier qui ne s'assoient directement sur aucune école de pensée. Là où la certification LEED-ND, au travers du Nouvel Urbanisme, promeut un modèle urbain bien défini, le label EcoQuartier apparaît comme un système très ouvert, et il a l'avantage de proposer un cadre souple pour intégrer les enjeux de développement durable dans la construction de la ville.

"L'urbanisme durable reste un courant urbanistique assez peu théorisé, si on compare à l'urbanisme moderne marqué par l'autorité de ses chefs de file."

C. Emelianoff