19 novembre 2013

La logistique urbaine comme levier d'innovation ?

L'innovation en logistique urbaine constitue un sujet à la mode en urbanisme. Quel article abordant le sujet de la logistique urbaine oserait s'absoudre d'évoquer la dimension innovante des expériences logistico-urbaine asiatiques ? D'ailleurs, autant lever le suspens, cet article ne dérogera pas à la règle. Néanmoins, plutôt que d'essayer de passer en revue les dernières innovations en la matière, essayons d'identifier les racines sous-jacente de ce beau mariage entre logistique urbaine et innovation.

La logistique urbaine : une définition complexe à établir

Une rapide déconstruction sémantique n'est pas superflue pour bien saisir les problématiques liées à la logistique urbaine. Comme cela est souligné dans un rapport de la DRIEA, la logistique en elle-même est déjà complexe à appréhender. Dans l'absolu, chaque activité nécessitant l'acheminement et l'entreposage de matériels, matériaux, etc., possède une dimension logistique. Dans ce même rapport, la DRIEA, cherchant à cartographier les emprises franciliennes liées à la logistique, a résolu le problème en accordant un "coefficient logistique" à différents types d'occupation des sols (au sens du MOS).

Estimation de la part des emprises vouées à la logistique, DRIEA, 2008
Gestion des flux ou objet urbain ?

L'ADEME s'est essayée à la rédaction d'une définition : "la logistique urbaine correspond à l’acheminement dans les meilleures conditions des flux de marchandises à destination ou en provenance de la ville". Bien que toute théorique, cette définition à le mérite de bien mettre en exergue l'ambivalence de cette problématique. Parle-ton de flux ou d'objets urbains ? Parle-t-on de 33T et de fret ferroviaire ou d'entrepôts ?

Quels enjeux soulevés ?

La logistique (urbaine) soulève quantité d'enjeux. Tout d'abord en termes de pollution atmosphérique puisque le transport de marchandises est responsable de 25% du CO2, 35% des NOx et 50% des particules émises en ville. Les histogrammes suivants comparant pour différents types de véhicules la part dans le trafic et les parts dans les émissions de NOx et de particules illustrent le lien entre émission de particules et transport de marchandises.

Source : Ville de Paris
En termes de congestion du réseau viaire avec 15% des déplacements pour 25% du temps d'occupation de voirie (et plus de 70% des arrêts effectués en double file). Enfin en matière de consommation foncière et plus généralement de fonctionnement économique de la métropole ; dans une enquête de la CCIP, le manque d’aires de livraison et leur occupation par du stationnement illégal sont les deux principaux problèmes évoqués par les chefs d’entreprise de Paris et Petite Couronne. La logistique urbaine interroge ainsi indifféremment acteurs publics ou privés. 

Quelles difficultés ?

Malgré cette dimension transversale, la logistique reste autant un objet de répulsion que de fascination. Les incarnations urbaines de la logistique, aussi indispensables soient-elles, restent des objets urbains peu denses, consommateurs d'espace, exigeants en termes de constructibilité (charges au sol, hauteurs sous plafond, etc.), et à l'esthétique souvent blâmable. A ces désagrément s'ajoute également le fait que ces objets restent peu pourvoyeurs d'emplois. De plus, si l'on considère l'exemple francilien, face à la hausse des prix du foncier, l'immobilier logistique peine (et il s'agit là d'un doux euphémisme) à exister face au bureau et au logement. Un phénomène de "centrifugation" des implantations logistiques est ainsi clairement identifiable sur les dernières décennies. L'exemple d'Otis constitue à ce titre un cas d'école. L'ascensoriste a séparé le stockage de ses stocks de pièces (localisés en seconde couronne) de ses agences locales (implantées en zone urbaine dense). 

Implantations d'Otis France en Île-de-France et régions limitrophes, source : AMUR
Faire des éléments évoqués plus haut la seule justification de la mise en œuvre de ce type de stratégie immobilière serait réducteur, néanmoins leur influence ne saurait être niée. Ce phénomène de centrifugation n'est pas sans conséquence sur l'allongement des trajets effectués avec ses corollaires : congestions des axes routiers, augmentation des coûts de transport et des pollutions émises, etc. 

Une problématique à la mode

Malgré (ou à cause de) ces difficultés, cette problématique est aujourd'hui d'actualité, les colloques sur ce sujet n'ont jamais été aussi nombreux. Cette forme de reconnaissance, si elle n'est pas forcément suivie d'effets, est concomitante à une restructuration de la filière logistique pure qui reste très sensible aux tensions sur le prix des énergies fossiles. De ce fait, la majorité des opérations actuelles visant à implanter une plate-forme logistique en milieu urbain relève du champ expérimental ou démonstratif et fortement subventionné. Il semble qu'aujourd'hui aucune de ces opérations ne puissent s'ériger en modèle généralisable.

ELU de St Germain des Prés et St Germain L’Auxerrois, Opération "La Petite Reine", Ville de Paris
Pourquoi un vecteur d'innovation ?

L'exception doit pourtant devenir la règle. Cet aspect expérimental fait de ces projets un creuset favorable à l'innovation sur bien des champs. A ce titre, un mariage entre logistique urbaine et mobilité durable semble pertinent. Les projets de logistiques urbaines peuvent ainsi constituer des leviers intéressants. On peut notamment penser à la mobilité électrique et au développement d'infrastructures de charge dans les centres de distributions urbains des prestataires de messagerie (exemple de chronopost à Beaugrenelle), aux expériences Japonaises de mutualisation de services, voire même à ajouter des fonctions urbaines (hôtels, desserte en TC, centre de congrès, centres de loisirs, parc, etc.) à des plates formes logistiques massives pour en faire un véritable lieu d'urbanité sans pour autant rogner sur sa fonctionnalité logistique, à l'instar du Garak Market à Séoul (le Rungis local du poisson qui s'apprête à faire peau neuve sous la houlette des architectes de Samoo architecture).

Vues du Garak Market en travaux et vue du projet, Seoul Development Institute
Ville durable, mobilité durable et logistique urbaine : quelles synergies, quelles anicroches ?

S'il est tentant de rapprocher mobilité durable et logistique urbaine, parfois des anicroches peuvent exister entre ces deux dimensions. Les implantations logistiques restent fortement dépendantes d'une accessibilité à une infrastructure lourde de transport. Or, cela signifie le plus souvent une bonne accessibilité routière en attendant le décollage réel du fret urbain ferré ou fluvial (même si quelques expériences existent). On peut ainsi s'interroger sur le devenir d' une zone logistique lors de la transformation en boulevard urbain des autoroutes la desservant, et plus globalement comment faire en sorte qu'une stratégie de mobilité durable ne porte pas en elle-même de facteurs de centrifugation ?