2 avril 2012

Vers un urbanisme "crowd-funded" ?

Le "financement participatif", ou crowd-funding en anglais (littéralement "financement par la foule"), est un mode de financement alternatif aux circuits classiques (banques, investisseurs, mécénat des grandes entreprises), dans lequel une multitude d'internautes contribue financièrement à un projet, généralement sans attente d'un retour sur investissement sonnant et trébuchant. La contrepartie se situe à un autre niveau, celui de la reconnaissance publique ou du sentiment d'appartenance à une communauté. Dans le cas d'un film crowd-funded, par exemple, l'ensemble des "coproducteurs" apparaîtront au générique.

Si les exemples se multiplient depuis quelques années dans les arts plastiques, la musique ou le cinéma (David Lynch lui-même y a fait appel), quelques projets intéressant l'urbanisme commencent à apparaître, venus pour le moment (sans surprise) de pays libéraux comme les Etats-Unis ou les Pays-Bas. Illustrations.
Le projet + Pool sur l'East River à New York City

+ Pool est un projet de piscine flottante sur l'East River à New York, alimentée uniquement par l'eau de la rivière, directement filtrée par les parois des bassins. Ses créateurs, les agences Family et PlayLab, ont reçu le soutien du célèbre bureau d'études Arup, qui les a notamment aidé à étudier la faisabilité de ce système très innovant de filtration de l'eau. Les études s'étant révélées encourageantes sur le papier, l'équipe s'est lancée dans une entreprise de crowd-funding pour réaliser des prototypes. Avec 25 000 $, ils se proposaient de tester le système primaire de filtration, avec 50 000 $ également le système secondaire, etc. jusqu'à 500 000 $ où c'est un prototype complet qui pouvait être envisagé. En juin 2011, ils ont levé les 25 000 $ en moins d'une semaine. Toutefois, le mouvement semble s'être un peu essoufflé depuis : à ce jour, le site affiche toujours un peu plus de $ 40 000 de dons répartis entre 1 203 donateurs, heureux bénéficiaires d'articles de plage estampillés aux couleurs du projet... Si l'objectif affiché est bien de réaliser un jour cette piscine au bénéfice des citadins, pour le moment l'opération s'apparente plus à du mécénat scientifique...
Le Luchtsingel, passerelle crowd-funded à Rotterdam
Autre exemple plus avancé à Rotterdam. Dans le cadre de la 5e biennale internationale d'architecture, l'initiative I make Rotterdam portée par l'agence néerlandaise ZUS (Zones Urbaines Sensibles, sic) consiste à réaliser une grande passerelle piétonne provisoire, le Luchtsingel ("promenade surélevée"), pour anticiper un ouvrage prévu à terme dans les plans de la collectivité mais jugé non prioritaire. Chaque donateur verra son nom inscrit sur une planche ou une pièce de l'ouvrage. Plus il y aura de donateurs, plus le pont sera long... 17 000 planches sont nécessaires pour compléter les 350 m de l'ouvrage. Le chantier a démarré en février 2012. Ironie de l'histoire, le projet vient de gagner le prix de l'initiative citoyenne de Rotterdam, doté de 4 000 000 € de fonds... publics !
Votre nom gravé sur une planche de la passerelle
Si cette sympathique passerelle se réclame de la High Line de New York, elle relève quand même plus d'un bon vieux franchissement de voie ferré que d'un véritable nouvel espace public. On touche ici aux limites de l'urbanisme crowd-funded. Le projet, qui doit permettre de mieux relier le centre de Rotterdam à ses quartiers nord à travers le Hofplein, autrefois centre urbain actif devenu un quartier de grandes infrastructures et de gros bâtiments peu avenants, va certes améliorer le quotidien de nombreux citadins, mais il ne pourra pas traiter en profondeur les coupures urbaines et les dysfonctionnements du secteur : il n'en a ni les moyens financiers, ni les leviers administratifs. Il s'agit donc bien ici de forcer d'une certaine manière la main de la collectivité et de bousculer ses priorités en faisant la démonstration de manière très concrète de l'intérêt d'investir dès maintenant dans ce quartier.

Quid de la France ? Aucun projet réellement public pour le moment, mais il existe déjà des projets communautaires qui se financent de la même façon. Ainsi, la grande mosquée Addawa en construction rue de Tanger dans le 19e arrondissement de Paris, dont les travaux avancent au rythme des dons des fidèles sur internet.

Quelles conclusions tirer de toute cela ? Le crowd-funding constitue-t-il une amorce d'urbanisme réellement participatif (certains enthousiastes parlent déjà d'urbanisme 2.0) ou est-il plutôt la dernière manifestation de la démission de collectivités locales financièrement exsangues, qui s'appuient sur les citadins pour financer ce qu'elles ne peuvent plus s'offrir ? En fait, ni l'un ni l'autre. L'exemple de Rotterdam montre bien que le financement participatif en urbanisme peut constituer un catalyseur de projets venus "d'en bas" (en anglais bottom up), mais que l'investissement public doit prendre le relai. Un peu comme les majors de la musique et du cinéma produisent aujourd'hui des artistes découverts par le crowd-funding...

+ Pool sur le site de crowd-funding kickstarter.com
Site web de I love Rotterdam