9 mars 2013

Verticalement individuel

La Ville de Bègles et son très médiatique Maire Noël Mamère ont annoncé en 2012 la réalisation du premier programme de "lotissement vertical" en France. L'idée de départ est simple : construire 21 "maisons" (de 120 à 220 m²) avec jardin (au moins 25% de la surface allouée), implantées dans une sorte de "mégastructure" support. Un bailleur social local, Domofrance, est prêt à se lancer dans l'aventure. Lafarge se propose de fournir son béton haute performance pour construire une structure capable de porter le poids d'un jardin. L'objectif est de réconcilier les avantages de la maison individuelle (jardin, mais aussi personnalisation du logement, flexibilité et évolutivité...) avec l'impératif de contrer l'étalement urbain.
Hauts Plateaux à Bègles (c) Christophe Hutin, 2012

Cette idée n'est pas nouvelle. Déjà, en 1981, l'agence américaine SITE (Sculpture In The Environment) proposait son projet utopique Highrise of Homes, aujourd'hui exposé au MoMA de New York. On notera d'ailleurs la ressemblance formelle avec le projet des Hauts Plateaux de Bègles ! Ce dernier est ainsi emblématique d'un certain retour de l'utopie par temps de crise. Avec une différence majeure toutefois : l'implication d'hommes politiques, d'acteurs économiques, laisse penser que l'utopie concrète est aujourd'hui à portée de main.
Hauts Plateaux à Bègles (c) Christophe Hutin, 2012

Highrise of Homes, SITE, 1981
L'occasion pour nous de revenir sur quelques précurseurs de ce projet en Allemagne et au Japon, dont ceux qui le promeuvent se réclament. Les Allemands et les Japonais le font, en France nous serions donc très en retard sur le sujet ! Toutefois, à bien y regarder, ces précurseurs ne sont pas très nombreux et ont été construits dans des conditions très particulières.

Premier exemple, le projet d'Ökohaus de Frei Otto à Berlin, a été réalisé dans le cadre des fameuses IBA, expositions d'architecture expérimentale, sur du foncier réservé. C'est du Groupe d'Etude d'Architecture Mobile de Yona Friedman qu'Otto Frei a tiré sa vision : une ville "non planifiée", où les habitants seraient capables de construire librement leur "nid", le rôle de la collectivité étant juste de fournir l'arbre où accrocher ce dernier. D'où le surnom de Baumhaus donné à ces trois constructions atypiques, construites en lien étroit avec ses habitants, recrutés par petite annonce.
Ökohaus de Frei Otto, Berlin, IBA de 1987
Ce projet ne s'est pas fait sans difficultés, loin s'en faut. Beaucoup de volontaires se sont découragés quand le promoteur leur a expliqué qu'il ne pouvait garantir ni le prix ni le délai de réalisation. Il a fallu deux ans pour mettre tout le monde d'accord sur la répartition des surfaces, l'organisation des accès, etc. Pour l'aménagement de leur logement, les habitants étaient invités à faire appel à leur propre architecte. Frei Otto a volontairement été peu directif, sauf sur un point : il souhaitait que l'accès se fasse via des escaliers extérieurs, pour encourager les rencontres entre les habitants. Ces derniers préféraient un escalier intérieur avec un ascenseur... Par ailleurs, une solidarité financière a été demandée entre les futurs habitants et une subvention publique a quand même été nécessaire pour boucler le budget. Le plan d'urbanisme local a du être adapté car bien entendu le projet rentrait difficilement dans ses cases. Au final, donc, un projet plus long à sortir, plus cher et plus risqué. Et, passée la construction, un projet revenu dans le "droit commun" du logement car, en pratique, il n'est techniquement pas faisable de faire évoluer un logement sans toucher aux autres ou à la structure porteuse.

Second exemple, le projet Next21 à Osaka, achevé en 1993. Il a été conçu par le Professeur Utida, qui s'est considéré comme un "urbaniste en trois dimensions" et a coordonné le travail de 13 architectes différents (pour 18 logements !). Là encore, un contexte particulier puisque le projet est une commande d'Osaka Gaz, grande entreprise japonaise qui a avant tout voulu en faire une vitrine de l'habitat du futur, en combinant innovation sociale et innovation technologique (et tout particulièrement énergétique). Next21 a notamment permis d'expérimenter le Two-Step Housing Supply System (qu'on pourrait traduire par quelque chose comme "système d'approvisionnement du logement en deux étapes"), qui consiste à distinguer clairement les éléments constructifs relevant du long-terme et du collectif (la structure, les noyaux...) et ceux relevant du privatif, avec une durée de vie plus courte (cloisons, équipements techniques, mais en l'occurrence également les façades).
Next21, Osaka, 1993
On le voit, ces projets très complexes restent une exception et la France n'est pas plus en retard que de nombreux autres pays. La raison est sans doute qu'ils combinent deux difficultés : la première, liée à l'émergence d'un "tiers secteur" du logement, c'est-à-dire d'un habitat collectif plus "participatif" (dans lequel, pour le coup, la France est effectivement en retard) ; la seconde, liée à la nécessité de repenser complètement les modèles architecturaux et techniques du logement (cette dernière difficulté touchant a priori tout le monde).

Ce n'est bien sûr pas une raison pour ne pas expérimenter - mais sans prétendre inventer LA forme d'habitat de demain. De nombreuses difficultés concrètes attendent les porteurs du projet de Bègles, dont on espère qu'ils sauront les surmonter : maîtrise des coûts de construction (s'agissant de logements en accession sociale à la propriété, l'objectif est qu'ils soient 20% en-dessous des prix du marché), respect des normes (on imagine la tête du contrôleur technique ou du certificateur H&E quand ils vont voir le dossier...), montage juridique pour préserver la capacité d'extension future sans que tout le monde se tienne par la barbichette (copropriété ? division en volume ?), etc. Souhaitons-leur bonne chance, et gageons qu'ils sauront partager leurs succès tout comme leurs échecs pour faire avancer la réflexion de tous.

Notons enfin que d'autres expériences visant à promouvoir un habitat plus participatif à coût maîtrisé existent. C'est le cas par exemple de celles portées par l'association Un Plus Un. Moins ambitieuses techniquement, elles seront peut-être plus simples à répliquer. Nous aurons sans doute l'occasion d'en reparler.