11 mars 2012

La ville productive : passage à l'acte !

Je publie aujourd'hui un texte que j'ai rédigé pour alimenter l'offre du groupement "Printemps urbain", constitué autour de l'agence X-Tu, pour l'appel d'offres visant à mettre en place le nouveau Conseil scientifique de l'AIGP. Il s'agit de quelques éléments de cadrage sur le thème (qui m'est cher) de la ville productive et de sa mise en oeuvre concrète.

"Le concept de ville productive consiste à la fois à relocaliser au plus près du consommateur et à décentraliser les modes de production traditionnels : chaque citadin (on pourrait dire chaque citoyen), chaque acteur du territoire (collectivité, entreprise, association, etc.) devient, à sa petite échelle, producteur (d’énergie, de produits agricoles, etc.).

Concrètement, il peut s’agir de produire de l’électricité sur une toiture grâce à des panneaux photovoltaïques ; de créer de la biomasse sur des façades avec des tubes emplis de micro-algues ; ou encore de développer une petite agriculture de proximité sur des espaces verts sous-utilisés, appartenant par exemple à une grosse copropriété, à un bailleur social ou à une collectivité.

La ville productive nait de la rencontre d’un non-sachant, propriétaire d’un foncier (ou d’un capital) qu’il peut mettre à disposition d’une activité productive donnée, généralement en échange d’une partie de la production, de services annexes rendus ou d’une somme d’argent, et d’un exploitant ou producteur qui, lui, est un professionnel.

En soi, le schéma n’est pas révolutionnaire : l’affermage se pratique de longue date dans les campagnes.

Toutefois, sa déclinaison opérationnelle à la ville productive présente quelques particularités dont il faut tenir compte.
En ville, le foncier support de la production va, le plus souvent, être petit et fractionné entre une multitude de propriétaires. Dès lors qu’on souhaite éviter une concurrence du sol avec d’autres usages plus souhaitables (ou plus rentables), il convient d’envisager la superposition des fonctions et l’exploitation d’un potentiel aujourd’hui sous-utilisé : les façades et toitures des bâtiments. Mais les contraintes techniques sont alors bien plus grandes.
En conséquence, la rentabilité des projets est généralement faible. Mais ceci n’est pas une fatalité sur le long terme : si des techniques spécifiquement adaptées au contexte urbain se développent, les coûts baisseront.
L’initiative vient le plus souvent du citadin, qui cherchera avant tout à améliorer son cadre de vie et à s’impliquer dans un projet local, et non au producteur qui sera freiné par la faible rentabilité. Mais elle peut aussi être initiée par la collectivité.
Projet d'agriculture urbaine sur le campus de UCL à Londres - http://nicolasrouge.com/urbangrowth/
Crédit Nicolas Rougé et Anna Gasco
Des modes de contractualisation et de gestion adaptés à ces contraintes restent en grande partie à inventer. On peut esquisser quelques pistes selon les cas de figure.

Dans les opérations d’aménagement, la collectivité et son aménageur pourront donner l’impulsion en prescrivant aux opérateurs immobiliers, à travers les cahiers des charges de cession de terrains, la réalisation de travaux permettant la mise en place ultérieure de la production souhaitée. Ceci peut aller de simples mesures conservatoires (dans l’aménagement des toitures ou des espaces extérieurs par exemple) à la réalisation complète des infrastructures de production (par exemple, pose de panneaux photovoltaïque).
Ces mesures permettront d’améliorer la rentabilité des activités productives. Mais, dans la mesure où elles coûtent à l’opérateur immobilier, elles auront un impact sur la charge foncière, donc sur le bilan d’aménagement. Dès lors, l’aménageur a intérêt à se positionner également sur l’exploitation elle-même afin de « capter » une partie de la valeur produite, en vue de limiter les impacts sur son propre bilan. Il pourra par exemple constituer une société de projet en partenariat avec un producteur « sachant », société qui aura pour vocation d’intervenir sur le périmètre d’une ou plusieurs de ses opérations.
C’est par exemple la voie choisie par la Semavip, SEM d’aménagement parisienne, avec la création de Solarvip, dédiée au développement du photovoltaïque.

Un grand propriétaire foncier pourra avoir le même type de raisonnement à l’occasion d’une opération de rénovation de son patrimoine. Il pourra introduire de nouvelles fonctions productives dans les travaux qu’il programme. Là encore, s’il y a production de valeur, il aura intérêt à être partie prenante dans l’exploitation afin de maîtriser les impacts financiers sur son bilan d’opération.

Enfin, dans la ville constituée, on peut imaginer que des habitants volontaires prennent l’initiative. Ils pourront contribuer de trois manières (non exclusives) à l’équilibre d’activités productives faiblement ou non rentables dans leur quartier.
A travers la mise à disposition à prix avantageux d’une partie de leur foncier, lorsqu’ils sont propriétaires. Cet engagement pourrait se concrétiser par la création de sociétés foncières citoyennes, par exemple de statut coopératif, mettant à disposition toitures ou espaces libres privés sous-utilisés à un producteur.
A travers l’épargne citoyenne, ce qui permettra, en évitant les circuits bancaires traditionnels, de financer les investissements nécessaires à moindre coût.
A travers l’engagement d’acheter, à un prix généralement supérieur à celui du marché, la production locale. Tel serait par exemple le schéma d’une AMAP achetant prioritairement ou exclusivement à des producteurs ultra-locaux, c’est-à-dire implantés littéralement au coin de la rue, voire « à la maison »…
A noter qu’on peut imaginer un soutien de la collectivité à ce type d’initiatives locales, soit par un mécanisme classique de subventions, soit par la mobilisation de son propre foncier, soit encore par un engagement d’achat de la production  – dans le cas de cultures vivrières, les cantines scolaires pourraient constituer un débouché intéressant, avec une plus-value pédagogique non négligeable !

Le producteur, tout professionnel qu’il doit être, ne sera pas forcément une multinationale. Moyennant une formation adaptée, à laquelle là encore la collectivité peut contribuer, les citadins pourront souvent assumer eux-mêmes ce rôle en se constituant en associations ou coopératives locales. Une même personne pourra donc se retrouver à contribuer, à travers deux structures différentes, au développement de la ville productive, passivement grâce à son patrimoine et activement grâce à son travail."