
L'arbre qui cache la forêt ?
Quand on est un observateur extérieur, on a aujourd’hui trois sources d’information principales pour essayer de comprendre les projets qui ont été soumis à l’appel à projets Réinventer Paris.
La première est la composition des équipes : cela relève du décryptage des signaux faibles, car le rôle des intervenants et leurs apports aux projets ne sont pas explicités.
La seconde, ce sont les textes et images de l’exposition au Pavillon de l’Arsenal et du catalogue. Le choix (discutable) a été fait de communiquer sur les projets rapidement mais avec une matière brute, sans réelle mise en perspective. Passé le vertige qui saisit le visiteur de l’exposition ou le lecteur du volumineux ouvrage, ce qu’on retient en premier lieu des projets, sur le plan environnemental, c’est la prédominance de la végétalisation. C’est l’aspect le plus mis en avant dans la presse (cf. les « 22 nuances de vert » de Frédéric Edelmann et Jérôme Porier dans Le Monde). C’est évidemment le plus visible si l’on considère que l’on est aujourd’hui dans une certaine « tyrannie » de l’image : la végétalisation se voit sur une perspective, un isolant biosourcé pas forcément…
La dernière est l'abécédaire de l'innovation inclus dans le catalogue, glossaire de plus de 160 entrées qui tente le périlleux exercice de recenser et définir les innovations des 358 projets soumis. Si on regarde ce glossaire comme un indicateur de la variété des innovations proposées, on voit que seulement 14% des entrées concernent la nature en ville, quand 35% concernent l’énergie ou les matériaux.
Peut-on en déduire qu’il y a eu finalement moins de diversité dans les approches proposées sur la nature en ville (voir par exemple le nombre impressionnant de projets qui travaillaient sur le thème de l’agriculture urbaine ou du jardinage urbain) que sur d’autres thèmes ? Est-ce à dire que tout le monde avait finalement sur ce sujet un peu la même approche, et que ce n’était finalement pas si innovant ? La végétalisation du bâti et l’agriculture urbaine sont-elles finalement rentrées dans les mœurs parisiennes – d’autant que c’est un phénomène qui était largement engagé avant Réinventer Paris, avec quelques premières réalisations intéressantes. Mais qu’a réellement apporté Réinventer Paris d’innovant sur ces sujets ?
On pourrait sans doute dire la même chose de la construction bois. De nombreux projets ont été proposés en ossature bois. C’est indéniablement vertueux, mais est-ce toujours innovant ? Y a-t-il eu beaucoup d’innovation DANS la construction bois ?
En soi, la généralisation de ces dispositifs est une très bonne nouvelle. L’apport principal de Réinventer Paris n’est-il pas d’avoir transformé les « meilleures pratiques » en standards ? Sans être innovant, c’est déjà beaucoup.
Innover pour quels bénéfices ?
Admettons donc qu’on ait de réelles innovations environnementales dans les projets soumis à Réinventer Paris (et espérons-le dans les projets lauréats), même si pour le moment l’inventaire précis reste à en faire.
L’environnement était effectivement très présent dans le cahier des charges de la consultation. Il abordait presque toutes les thématiques de l’écologie urbaine (énergie, matériaux, biodiversité, santé…). Mais il posait plus une VISION que des objectifs précis (hormis bien sûr le respect du Plan Climat de Paris).
L’innovation proposée par les équipes résultait-elle d’une véritable analyse des enjeux, des besoins, du contexte local de la parcelle, ou résultait-elle plus de la constitution même de l’équipe : chaque acteur n’est-il pas un peu venu avec ses solutions ou avec ses « marottes » ? Au final, est-on sûr que les immeubles les plus verts se situent dans les zones où les enjeux de biodiversité sont les plus forts ? Est-on sûr que les immeubles à énergie positive sont là où les réseaux énergétiques ne permettent pas déjà d’avoir une bonne couverture par les énergies renouvelables ?
Enfin, comment les jurys de Réinventer Paris se sont-ils prémunis contre le risque d’une innovation « gadget », de la vraie fausse bonne idée séduisante qui ne fait que concurrencer des pratiques ou des techniques déjà éprouvées en siphonnant les moyens techniques, humains ou financiers disponibles (cf. par exemple la route solaire : 3 fois plus chère à produire que le photovoltaïque en toiture à puissance équivalente d’après un article publié dans Techniques de l’Ingénieur).
De manière générale, faut-il toujours être innovant pour faire un projet juste, vertueux, exemplaire, qui répond aux enjeux de son contexte et aux grands défis planétaires qui se posent à nous ?
Du coup, comment cette innovation sera-t-elle évaluée ? Les équipes ont produit un « protocole d’évaluation » qui sera contractuel et qui constitue un engagement vis-à-vis de la Ville pendant 10 ans, mais est-ce qu’il a réellement constitué un critère de choix ? L’évaluation sera-t-elle toujours faite par des organismes indépendants des porteurs de projet, comme c’est habituellement la norme pour les projets démonstrateurs ? Quels moyens financiers sont sacralisés pour l’évaluation dans les bilans d’opération ? La Ville aura-t-elle réellement les moyens de suivre ces protocoles sur les 22 sites pendant 10 ans ?
Autant de questions sur lesquelles il serait bon de s'interroger sérieusement avant de lancer les prochaines appels à réinvention...