"Le concept de ville productive
consiste à la fois à relocaliser au plus près du consommateur et à
décentraliser les modes de production traditionnels : chaque citadin (on pourrait
dire chaque citoyen), chaque acteur du territoire (collectivité, entreprise,
association, etc.) devient, à sa petite échelle, producteur (d’énergie, de
produits agricoles, etc.).
Concrètement, il peut s’agir de produire de l’électricité
sur une toiture grâce à des panneaux photovoltaïques ; de créer de la
biomasse sur des façades avec des tubes emplis de micro-algues ; ou encore
de développer une petite agriculture de proximité sur des espaces verts
sous-utilisés, appartenant par exemple à une grosse copropriété, à un bailleur
social ou à une collectivité.
La ville productive nait de la rencontre d’un non-sachant, propriétaire
d’un foncier (ou d’un capital) qu’il peut mettre à disposition d’une activité
productive donnée, généralement en échange d’une partie de la production, de
services annexes rendus ou d’une somme d’argent, et d’un exploitant ou producteur
qui, lui, est un professionnel.
En soi, le schéma n’est pas révolutionnaire :
l’affermage se pratique de longue date dans les campagnes.
Toutefois, sa déclinaison opérationnelle à la ville
productive présente quelques particularités dont il faut tenir compte.
En ville, le foncier support de la production va, le plus
souvent, être petit et fractionné entre une multitude de propriétaires. Dès
lors qu’on souhaite éviter une concurrence du sol avec d’autres usages plus souhaitables
(ou plus rentables), il convient d’envisager la superposition des fonctions et
l’exploitation d’un potentiel aujourd’hui sous-utilisé : les façades et
toitures des bâtiments. Mais les contraintes techniques sont alors bien plus
grandes.
En conséquence, la rentabilité des projets est généralement
faible. Mais ceci n’est pas une fatalité sur le long terme : si des
techniques spécifiquement adaptées au contexte urbain se développent, les coûts
baisseront.
L’initiative vient le plus souvent du citadin, qui cherchera
avant tout à améliorer son cadre de vie et à s’impliquer dans un projet local,
et non au producteur qui sera freiné par la faible rentabilité. Mais elle peut
aussi être initiée par la collectivité.
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Projet d'agriculture urbaine sur le campus de UCL à Londres - http://nicolasrouge.com/urbangrowth/ Crédit Nicolas Rougé et Anna Gasco |
Dans les opérations d’aménagement, la collectivité et son aménageur
pourront donner l’impulsion en prescrivant aux opérateurs immobiliers, à
travers les cahiers des charges de cession de terrains, la réalisation de
travaux permettant la mise en place ultérieure de la production souhaitée. Ceci
peut aller de simples mesures conservatoires (dans l’aménagement des toitures
ou des espaces extérieurs par exemple) à la réalisation complète des infrastructures
de production (par exemple, pose de panneaux photovoltaïque).
Ces mesures permettront d’améliorer la rentabilité des
activités productives. Mais, dans la mesure où elles coûtent à l’opérateur
immobilier, elles auront un impact sur la charge foncière, donc sur le bilan
d’aménagement. Dès lors, l’aménageur a intérêt à se positionner également sur
l’exploitation elle-même afin de « capter » une partie de la valeur
produite, en vue de limiter les impacts sur son propre bilan. Il pourra par
exemple constituer une société de projet en partenariat avec un producteur
« sachant », société qui aura pour vocation d’intervenir sur le
périmètre d’une ou plusieurs de ses opérations.
C’est par exemple la voie choisie par la Semavip, SEM
d’aménagement parisienne, avec la création de Solarvip, dédiée au développement
du photovoltaïque.
Un grand propriétaire foncier pourra avoir le même type de
raisonnement à l’occasion d’une opération de rénovation de son patrimoine. Il
pourra introduire de nouvelles fonctions productives dans les travaux qu’il
programme. Là encore, s’il y a production de valeur, il aura intérêt à être
partie prenante dans l’exploitation afin de maîtriser les impacts financiers
sur son bilan d’opération.
Enfin, dans la ville constituée, on peut imaginer que des
habitants volontaires prennent l’initiative. Ils pourront contribuer de trois manières
(non exclusives) à l’équilibre d’activités productives faiblement ou non
rentables dans leur quartier.
A travers la mise à disposition à prix avantageux d’une
partie de leur foncier, lorsqu’ils sont propriétaires. Cet engagement pourrait
se concrétiser par la création de sociétés foncières citoyennes, par exemple de
statut coopératif, mettant à disposition toitures ou espaces libres privés
sous-utilisés à un producteur.
A travers l’épargne citoyenne, ce qui permettra, en évitant
les circuits bancaires traditionnels, de financer les investissements
nécessaires à moindre coût.
A travers l’engagement d’acheter, à un prix généralement supérieur
à celui du marché, la production locale. Tel serait par exemple le schéma d’une
AMAP achetant prioritairement ou exclusivement à des producteurs ultra-locaux,
c’est-à-dire implantés littéralement au coin de la rue, voire « à la
maison »…
A noter qu’on peut imaginer un soutien de la collectivité à
ce type d’initiatives locales, soit par un mécanisme classique de subventions,
soit par la mobilisation de son propre foncier, soit encore par un engagement
d’achat de la production – dans le cas
de cultures vivrières, les cantines scolaires pourraient constituer un débouché
intéressant, avec une plus-value pédagogique non négligeable !
Le producteur, tout professionnel qu’il doit être, ne sera
pas forcément une multinationale. Moyennant une formation adaptée, à laquelle
là encore la collectivité peut contribuer, les citadins pourront souvent
assumer eux-mêmes ce rôle en se constituant en associations ou coopératives
locales. Une même personne pourra donc se retrouver à contribuer, à travers
deux structures différentes, au développement de la ville productive,
passivement grâce à son patrimoine et activement grâce à son travail."