17 novembre 2015

L’agriculture urbaine commerciale va-t-elle conquérir la France ?

L’émergence de l’agriculture urbaine, couplée à la volonté de densification des centres urbains, interroge sur les modes de faire et sur sa mise en œuvre pérenne. Après avoir conquis l’Amérique du Nord, elle se développe maintenant en France et connait un succès notable. 

Sous l’étiquette agriculture urbaine se trouvent bien des formes de cultures, allant des jardins potagers aux cultures en serre sur toit en passant par l’usage ponctuel en hors-sol de dents creuses urbaines. Outre la forme qu’elle peut prendre, c’est aussi sa finalité qui varie : commerciale, éducative, sociale ou encore simple loisir. Ici, c’est la mise en place d’une production agricole ayant vocation à faire l’objet d’échanges marchands qui nous intéressera en particulier.



Sole Food Street Farms, False creek, Vancouver

Comment expliquer son succès ?

De récents  recensements, montrent que la superficie totale des jardins associatifs en Ile-de-France tend à égaler celle utilisée pour le maraîchage professionnel. Depuis quelques décennies, la perspective de ramener la nature au cœur des villes est un sujet cher aux citadins et, plus récemment, l’importance que cette nature est une fonction nourricière est en plein essor. Prônant le goût et les coûts réduits, l’agriculture urbaine fait miroiter un modèle attrayant. Effectivement, pour certains produits frais, la création de circuits courts permet d’éviter des temps de transport longs qui nuisent à la qualité gustative. Cela permet également de s’inscrire dans une démarche de développement durable en éliminant tout ou partie de la pollution liée aux transports dans la chaîne logistique ou en prônant une gestion raisonnée de l’eau dans le circuit d’irrigation par exemple. Toutefois, les coûts qui pourraient diminuer avec la suppression des intermédiaires sont soumis, entre autres, à la hausse des charges techniques pour la mise en place de ce type d’agriculture bien particulier, rendant le prix de vente des productions souvent plus élevé que celui des circuits de distribution classiques.

Une production agricole commerciale est-elle possible à l’échelle urbaine ?

Produire en ville induit inévitablement des problématiques inexistantes en milieu rural. La plus évidente étant évidemment la superficie cultivable disponible. L’expérience montre qu’il existe bon nombre de solutions pour remédier à ce problème : usage des toits, culture hors sol sur des dents creuses, etc…. Dès lors la réelle problématique semble de réussir à pérenniser son modèle, vendre sa production qui, de fait, ne peut être aussi variée que celle des circuits "longs"…  

Si l’on se fie aux modèles existants, pour vivre de leur production, les exploitants d’agriculture urbaine doivent pouvoir s’appuyer sur un réseau d’acteurs important permettant une facilité de distribution ainsi qu'une visibilité forte, l'ensemble formant un « écosystème agricole urbain » créant une dynamique positive. 
Serres sur toit de Gotham Greens, Brooklyn New York
Rares sont les entreprises ayant rencontré le succès dans cette optique ; on pourra citer Gotham Greens et ses serres sur toits aux Etats-Unis qui a su lier des partenariats avec des restaurants et surtout de grandes enseignes de supermarché (ex : Whole Food Market). Le succès du modèle s’appuie sur un rendement de production élevé et des superficies de culture importantes. 

Dans les autres cas, le succès a souri aux entreprises ayant su se diversifier, un business plan basé uniquement sur la vente de leur production ne suffisant généralement pas. Ces entreprises ont capitalisé sur leur image afin de développer d’autres sources de revenu telles que des visites, des locations de potagers, des ateliers pédagogiques, etc.
Les fermes en ville, 1er démonstrateur d'agriculture urbaine 
de l'association le « le Vivant et la Ville » 
À titre d’exemple, le démonstrateur « les Fermes en Ville » du cluster « le Vivant et la Ville », situé non loin de Versailles, illustre ce genre de modèle de promotion de l’agriculture urbaine. Une partie des revenus se base sur les visites et sur la location mensuelle de potagers en bacs sur un espace de 2 ha tandis que les 1,5 ha restants sont réservés à un agriculteur (Gally) qui cultive en hors-sol, le tout sur un site dont la qualité des sols ne permet pas de cultiver en pleine terre.

Par ailleurs, une production agricole offre une image symbolique forte qui permet de jouer sur l’affectif des habitants par rapport aux éléments de partage que représente la ferme (rapport à la nourriture, à la campagne, au vivant), suscitant ainsi un engouement permettant à l'exploitant de développer son modèle économique.

Là où en Amérique du Nord, l’agriculture urbaine a pu s’appuyer sur l'étalement des villes et les nombreux espaces disponibles pour développer des cultures, en France, elle devra s’adapter à des superficies souvent bien inférieures et s’attarder sur la qualité des produits, gages d’un savoir-faire. 

Au regard des expériences actuelles, une interrogation demeure : le succès rencontré est-il vraiment pérenne ou bénéficie-t-il d’un effet de niche qui pourrait finalement bien disparaître avec la démocratisation de ce genre de modèle ?