Ecoquartier de la Bottière-Chénaie à Nantes (Crédit : Marien Billard)
Un écoquartier, c’est deux histoires :
C’est d’abord une utopie conceptuelle devenue réalité : concevoir et construire la ville durable. A travers la mise en œuvre d’innovations techniques et sociales qui fabriquent un écoquartier, c’est le rêve d’experts qui se transforme en Histoire.
Mais c’est aussi le quotidien, plus si futuriste que ça, d’habitants de plus en plus nombreux (41 620 logements livrés et labellisés en France entre 2012 et 2013). Qui sont-ils ? Et en quoi sont-ils devenus des « écocitoyens [1] » ?
Répartition des écoquartiers labellisés en France (http://www.territoires.gouv.fr/les-ecoquartiers)
Aujourd’hui, la concertation et ses outils font bien partie de la démarche d’un écoquartier et sont mis en place en amont. Mais tous les futurs usagers n’y participent pas nécessairement. Et le retour d’expérience montre que c’est parfois difficile pour ces personnes qui pensent arriver dans un paradis écologique et qui découvrent avec surprise l’engagement exigé d’eux à travers ces fameux « écogestes [2] » et les nouvelles conditions, souvent vécues comme des contraintes, de ce cadre de vie innovant. Pourquoi entendons-nous des phrases du type : « C’est beau, mais y a plein de bestioles [3] » ?
La mise en œuvre des solutions : les raisons d’un écart entre ambition et réalité
La réalisation d’un projet d'aménagement, et donc d’un écoquartier, passe par un certain nombre de phases de mise en œuvre (programmation, conception, réalisation, usages et maintenance). L’écart de résultats aujourd’hui constaté entre les ambitions théoriques et les économies réelles d’énergie ou la satisfaction sociale à vivre dans le quartier s’explique par une variété de dysfonctionnements.
Il existe ainsi des dysfonctionnements techniques liés à la conception ou à la mise en œuvre de la solution innovante. La maîtrise ou le savoir-faire de l’innovation ne sont pas aujourd’hui partagés par tous. Les entreprises qui construisent ou qui maintiennent doivent être formées aux nouvelles techniques. Il est ainsi courant d’observer le percement de l’isolation par des interventions ultérieures qui n’ont pas connaissance des techniques mises en oeuvre ; c’est le cas à Grenoble dans l’écoquartier De Bonne au moment de l’accroche du bardage bois[4] de certains bâtiments.
On a maintenant plus largement connaissance des dysfonctionnements par l’usage qui remontent souvent par des témoignages dans les médias et contribuent aujourd’hui à contrebalancer l’image verdoyante et idyllique des écoquartiers, voire à les discréditer. Les exemples sont multiples : les tensions entre voisins quand la réduction du stationnement dans un quartier amène les nouveaux habitants à se garer dans les quartiers à proximité ; l’achat par les habitants d’appareils ménagers très consommateurs ; les surconsommations de chauffage ; le lavage à grandes eaux de sols linoléum ; ou l’ouverture des fenêtres en présence d’une ventilation double flux. La culture de la fenêtre ouverte est en effet fortement ancrée dans nos habitudes ; de même, le lavage à sec des sols va à l’encontre de nos savoirs traditionnels en termes d’hygiène de vie.
« L’efficacité énergétique ne se cantonne plus aux seules technologies performantes mais elle intègre la notion de bon usage de ces technologies par les occupants des locaux »[5] et par les équipes de maintenance.
Changer les usagers ou changer les techniques ?
La mise en œuvre d’un accompagnement à l’usage des nouvelles technologies est complexe et a un coût : organiser des réunions, distribuer des livrets d’accueil, des guides sur les « écogestes », avoir un médiateur à disposition, organiser des formations pour les équipes d’entretien et de maintenance, etc. Pour une efficacité qui n'est pas toujours au rendez-vous.
Faut-il que les usagers s’adaptent aux solutions innovantes ? Ou faut-il faire le choix de solutions adaptées aux gestes quotidiens des usagers. Où doit être portée la capacité d’adaptation ? Faut-il par exemple choisir une solution théoriquement moins performante mais plus robuste face aux mauvais usages ?
Exemple de simulation de la performance face aux mésusages :
L’innovation 1 est
plus performante sur le papier mais plus sensible aux mésusages.
La question d’une « adaptation réciproque usages/systèmes » replace l’usager comme un paramètre complexe à prendre en compte durant la recherche de solutions. Le changement des modes d’habiter interroge la durabilité des solutions face aux usagers. La recherche d’un équilibre entre le coût d’un accompagnement et le coût de solutions mieux adaptées est peut-être aujourd’hui la priorité pour concrétiser un changement qui, pour l’instant, donne des résultats mal perçus.
Certaines recherches existent dans ce domaine. Le sociologue Christophe Beslay soutient ainsi une approche sociotechnique des solutions énergétiques ; il défend qu’il faut « appréhender ensemble les acteurs humains et non humains de la performance énergétique »[6]. Il propose d’intégrer les apports de la sociologie dans les modélisations de solutions durables et dénonce les techniques qui s’affranchissent des usagers, non appropriables. La technique ne doit pas être un substitut mais faciliter l’adoption de nouvelles pratiques.
Aujourd’hui le choix d’une solution « durable » porte sur sa performance théorique, les conséquences de ses mésusages devraient pourtant également faire partie des critères de choix.
[1] «
L’écocitoyenneté s’attache particulièrement à la nécessité, pour chacun,
d’avoir désormais des gestes et des comportements responsables, tant par
rapport à son environnement et son lieu de vie, qu’à l’égard de ses semblables
» SERRE Denis, 2005, L’écocitoyenneté de A à Z, Calce, Nérée éditions, p.46
[2] « Un
comportement de tous les jours qui est effectué dans le respect du
développement durable et des principes de l’écocitoyenneté. En somme, ce sont
des petits reflexes à apprendre et qui, mis ensemble, participent à la
protection de l’environnement » ADEME
[3] Article
du Nouvel Obs sur rue 89, par Vincent Renauld, le 02 mars 2014
[4] « Les
éco-techniques à l'épreuve des usages », article de Vincent Renault, à
l’occasion d’un cycle de conférences : L’implication des habitants dans les
projets d’écoquartiers en France : Quelles pratiques, quelles perspectives ? Le
18 septembre 2012
[5] « La
performance énergétique : pas seulement une question de technologie », article
de Pollutec, sur le blog Capteurs d’avenir, le 5 juin 2012
[6] ICEB
Café – Pratiques sociales d’usage des bâtiments et leurs impacts sur les
consommations énergétiques - le 18/05/2015 ; Intervenant : Christophe
Beslay – Université de Toulouse-le Mirail, CERTOP-CNRS