Profitant de la chaleur du mois de juillet, toute l'équipe d'une autre ville est partie étudier pendant une journée les projets durables de Lyon. Un compte-rendu tout en subjectivité mais tout en finesse par Maud Delacroix, qui vient d'achever son stage et continuera à collaborer avec nous. Bonne lecture,
Nicolas Rougé
Nicolas Rougé
Les berges de Rhône
Des coureurs, des cyclistes, des enfants qui glissent dans les tubes des toboggans, les berges de Rhône que nous découvrons en début de matinée sont animées par le dynamisme des lyonnais. On m'avait parlé d'une promenade ultra-touristique, de lieux pour les étudiants fêtards[1] mais, à l'exception des terrasses de la Guillotière, c'est un espace relativement privé et tranquille que nous découvrons, dont les aménagements invitent au passage et à la contemplation du fleuve.
L'atmosphère recomposée emporte le
visiteur dans une petite bulle de nature surréaliste en décalage avec le
centre-ville urbain. Quelques rappels visuels de la ville se laissent
apercevoir à travers la végétation sur l'autre rive, sous le charme de la butte
de la Croix-Rousse, puis de la basilique Notre-Dame de Fourvière.
L'interrogation sur les usages
qu'offrent cette coûteuse requalification des berges me semble essentielle mais
la réponse m'apparait aussi évidente : la sobriété du sol, la variété des
ambiances et la qualité des aménagements ponctuels résument bien cette volonté
de flexibilité de l'espace pour des usages variés et respectueux les uns des
autres. Le nouveau partage de cet espace public est une richesse pour les
habitants du centre-ville de Lyon comme pour la faune et la flore du fleuve qui
profitent des ambitions écologiques du projet.
L'esplanade dégagée par les
terrasses de la Guillotière, au plus près du cœur du centre-ville de Lyon,
forme un contraste avec le début de la promenade. Cet espace ouvert est définitivement
public et dédié aux grandes manifestations et grands événements. Il ouvre le
panorama à la fois sur la ville et le fleuve et les terrasses forment
spatialement et à grande échelle un lien entre ces entités. On peut alors
s'interroger sur la difficulté de faire cohabiter ces deux espaces ; le
choix de cette forme permettant d'accueillir la foule et donc des usages
festifs vient par ailleurs créer comme une troisième entité qui doit trouver sa
place entre la ville et ses habitants et le fleuve et son paysage.
Le court passage que nous effectuons
sur les berges du Rhône n’est pas suffisant pour conclure définitivement quant
à la qualité de ce lieu. Mon regret aura sans doute été de ne pas avoir trouver
l'audace d'interroger les quelques personnes qui s'y trouvaient à cette heure
de la journée, d'avoir frapper chez les riverains pour écouter leur histoire du
lieu.
Les rives de Saône
Après une traversée sans détour de la presqu'île, nous voilà au bord de l'imprévisible Saône qui semblait ce jour beaucoup plus paisible que le Rhône large et rapide. L'ambiance est tout de suite beaucoup plus minérale. Pour avoir feuilleté les dossiers de presse de l'aménagement "River-Movie"[2], je sais qu'il accompagne la rivière sur plus de 25 km et 14 communes et que notre court périple ne nous emmènera pas dans ses endroits les plus sauvages.
Encore plus près du vieux Lyon,
les aménagements que nous parcourons se greffent aux abords urbains du fleuve
dans une continuité de texture et de formes. Les parcours sont presque suspendus
au dessus de l'eau dans le prolongement des anciens quais. L’espace est étroit,
linéaire, rythmé par les interventions artistiques : il faut déambuler.
La marche nous fait remonter le courant. Ici la ville
semble sortir avec force de l'eau. Fière, elle expose sa figure historique,
conquérante. Cette attitude m'interroge. Au final j'y retrouve les idées
sous-tendues dans le quartier des tours de la gare de la Part-Dieu : une
ville innovante, technique, fière de sa maîtrise. Des choix idéologiquement à
l'opposé de ceux effectués pour les berges du Rhône, qui joue avec la nature du
fleuve, sa vitesse, sa végétation, ses variations de niveau, ses paysages. Ici,
c’est la ville qui se crée, qui s'impose dans ces espaces nouveaux.
Bien que fondamentalement différents, l'un aux
objectifs plus écologiques et l'autre plus artistiques, les aménagements des
rives et des berges m'ont tous les deux séduits. Et au regard de leurs
situations respectives, mon hypothèse est que le choix de la conception a dû s'appuyer
en premier lieu sur une analyse fine du contexte, de son fonctionnement et de
ses besoins.
Le quartier de la Confluence
Le quartier de la Confluence
Dans cet étourdissement de ville
et de paysage autour de l'eau, Confluence forme une apothéose.
Parfois sobre dans l'intimité des
cours intérieures où se déclinent pour le plaisir de l'œil averti les gestes
durables[3]
(trappes pour les copeaux de bois du chauffage, jardins partagés, panneaux
solaires…), le quartier de la Confluence peut rapidement devenir une fanfare
architecturale.
Les couleurs et les formes s'épanouissent dans une compétition
surprenante, presque agressive, dans la séduction du passant, du consommateur
qui vient faire ses emplettes au centre commercial. Le centre Confluence présente
un cœur commerçant traditionnel en coursives et escalators sur double niveau ;
tandis que les terrasses qui surplombent la place nautique offrent un panorama
à la fois sur les coteaux de la Saône et sur le nouveau quartier animé.
Ce nouvel essor d’anciennes friches
industrielles de Lyon, visité sous le soleil, fait rêver l'architecte et
l'urbaniste le temps d'une déambulation. Quelques questions restent cependant
en suspens : que ressentent les habitants ainsi exposés dans ces monuments
d'architecture, ces balcons de verre, ces blocs de béton sculpturaux ? Quelle
sera l'image de ce quartier dans 10 ans quand les goûts changeront, quand les
fenêtres auront pleuré sur les murs et le bois perdu son bronzage ?
Une nouvelle fois, à Confluence, j'ai l'impression
étrange que l'espace public tire doucement son fonctionnement de celui du
fleuve dans ses principes d’inondabilité, ses circulations fluides, ses
matériaux sobres et efficaces, tandis que la masse bâtie est comme tombée du
ciel : une œuvre contemporaine qui fascine, des espaces mis en scène de la main
de l'homme, une richesse foisonnante de principes innovants.
L'espace Mazagran et le jardin partagé des Amarantes
L'espace Mazagran et le jardin partagé des Amarantes
La journée se termine dans l'intimité animée de cet
ilot en cœur de centre-ville investi par les associations, où l'on se sent
rapidement à l'aise. L'espace Mazagran est le fruit des incertitudes des
projets et calendriers politiques mis à profit pour créer une œuvre évolutive
donnant un sens et des usages de proximité à des dents creuses.
Les lignes graphiques du jardin apportent un dynamisme
et une singularité qui font de cet espace un lieu de rassemblement et de
convivialité. Nous nous y asseyons quelques minutes avant de reprendre le train
pour Paris. L'ambiance est chaleureuse abritée à l'ombre des arbres qui composent
la place, l'atmosphère remplie de discussions partagées avec les habitants du
quartier. Et je m'amuse même un instant à parcourir les petits chemins du
jardin partagé où je retrouve les légumes et les fleurs de saison.
La question se pose désormais de l'intervention de la
municipalité dans cet espace public spontané. Un projet partagé doit voir le
jour : quelle signification cela prend-t-il pour les usagers de l'ilot
Amarantes ? Une identité forte s'est cristallisée autour de cette œuvre collective
et les visages peints par Eduardo Kobra semblent porter un regard sévère sur
les transformations à venir.
Le paysage défile à la fenêtre
quand nous repartons à toute vitesse pour la capitale. Mais mon esprit reste
accroché à cette expérience unique de Lyon. Marcher à travers la ville et
aborder le projet urbain par la perception et l'expérimentation me laisse une
image forte : une ville qui se tisse avec harmonie autour de l'eau mais qui
éprouve le besoin d'être pionnière dans ses concepts, parfois jusqu'à en
devenir extravagante.
[1] Voir
l'article de C4ndide "Les Berges du Rhône, l’envers du décor" sur http://lyon.citycrunch.fr/
[2] Volonté
de Jérôme Sans, directeur artistique, exprimée dans un entretien mené par J.-P? Robert publié par D'a/Traits urbains en collaboration avec le Grand Lyon,
d'écrire un scénario découpé en séquences et racontant une histoire évolutive
au fil de l'eau.
[3] Le
projet de la ZAC Confluence s'est qualifié pour le programme européen Concerto
et s'inscrit dans une démarche de Smart City. Il est le premier quartier durable
labélisé WWF de France.