1 septembre 2014

Stratégies de villes intelligentes : Rio de Janeiro

Qui n'a pas entendu parler de smart city ? Le "smart" a désormais envahi le jargon de l'urbanisme, un peu comme la mixité avait pu le faire il y a quinze ou vingt ans. Smart gridsmart buildingsmart parkingsmart water management... Pas un domaine de la gestion urbaine n'y échappe, et certains parlent même de smart planning voire de smart democracy !

Le blog d'une autre ville inaugure aujourd'hui une série de billets qui nous emmènera à la découverte de quelques unes des stratégies de villes intelligentes, afin de tenter de démythifier les réalisations dont tout le monde parle et d'en décrypter les enjeux sous-jacents.

Vacances et Coupe du Monde obligent, la première étape de notre série nous conduit à Rio de Janeiro, où la Mairie et IBM ont fortement marqué les esprits en décembre 2010 en présentant ce qui peut sembler encore aujourd'hui un des exemples les plus ambitieux et les plus aboutis de gestion urbaine "intelligente" : un "centre des opérations" flambant neuf qui concrétise le rêve secret ultime de beaucoup de maires ou de responsables de métropoles, à savoir, piloter la ville comme on pilote une centrale nucléaire ou une navette spatiale !

Concrètement, il s'agit d'une grande salle de contrôle équipée d'écrans géants, dans laquelle 400 personnes se relaient 24 heures sur 24 pour coordonner une trentaine de services publics (dont certains dépendent de la Mairie, d'autres de l'Etat de Rio... cela nous rappellera des choses) ou de concessionnaires de réseaux. Une cellule de crise se trouve juste à côté de la salle de contrôle.
Le centre des opérations de Rio de Janeiro (c) Prefeitura do Rio
Exemple concret : le pape François décide au dernier moment de changer d'itinéraire durant les dernières JMJ ? Pas de panique, le trafic routier, les transports en commun et les services de sécurité et de secours peuvent s'adapter en temps réel.

Qui dit smart dit d'une part capteurs, d'autre part systèmes intelligents. Sur le premier plan, rien de révolutionnaire a priori : 600 caméras de surveillance ont été déployées sur les grands axes routiers, dans le métro, etc. Par ailleurs, on imagine aisément, compte tenu du délai record dans lequel le centre des opérations a été déployé (moins de 9 mois), que la plupart des services publics ou concessionnaires devaient déjà disposer de leurs propres systèmes de capteurs et de supervision. La valeur ajoutée réside ailleurs : d'une part dans l'intégration de ces différents systèmes informatiques, c'est-à-dire dans l'ajout d'une couche supplémentaire dite d'"hypervision", qui permet de produire en temps réel une "carte intelligente" superposant jusqu'à 60 couches de données issues de chaque service ou réseau ; d'autre part dans un modèle météo sophistiqué et adapté au contexte de Rio, qui permet par exemple de prévoir jusqu'à 2 jours à l'avance les risques de glissement de terrain.

Il faut dire que l'élément déclencheur de la décision du Maire de Rio de lancer "son" centre des opérations a été le tragique glissement de terrain d'avril 2010, qui a tué 70 personnes dans les favélas de Rio, construites pour la plupart sur des flancs de colline très pentus en principe peu adaptés à l'urbanisation...

On peut s'interroger sur les rôles respectifs de la Mairie de Rio et d'IBM dans ce projet. Ils sont difficiles à démêler, tant chacun communique énormément sur le sujet, mais séparément, en donnant subtilement l'impression que l'initiative lui en revient. Si l'initiative politique est forcément du côté du Maire, on peut imaginer qu'IBM a activement aidé à forger la "vision" de ce que devait être ce centre des opérations, en plus de fournir bien sûr toute l'assistance technique nécessaire pour sa mise en œuvre. Quoi qu'il en soit, les liens entre Rio et IBM sont étroits : la Ville a également été en 2010 l'un des premiers lauréats du Smarter Cities Challenge d'IBM, qui consiste à mettre gratuitement à disposition des consultants et des ingénieurs d'IBM à des collectivités choisies sur dossier. A priori indépendante de la mise en place du centre des opérations, mais s'inscrivant clairement dans la même dynamique, cette mission de conseil gratuite a conduit la Mairie de Rio à nommer un Directeur du Numérique et à créer une agence de développement économique (dont le directeur local d'IBM a été nommé au conseil d'administration...).

En résumé, la stratégie "smart" de Rio repose sur 3 objectifs principaux :
- En premier lieu, la gestion des crises ou des grands événements : risques de glissements de terrain comme on l'a vu, mais aussi grandes manifestations (depuis 2010, Rio a déjà à son actif des JMJ et une Coupe du Monde, et bientôt des Jeux Olympiques), émeutes (l'actualité récente du Brésil a montré que ce n'est pas un cas de figure théorique...), épidémies... Le centre des opérations permet notamment une coordination efficace des services de sécurité et de secours (polices, pompiers, hôpitaux...) et une assistance à la gestion des mouvements de foule.
- En second lieu, l'optimisation au quotidien des services publics : par exemple, l'entreprise publique locale en charge des déchets peut optimiser en temps réel le trajet de ses camions de collecte pour éviter les bouchons et ainsi économiser à la fois de l'argent et du CO2.
- Enfin, la redescente en temps réel d'informations vers le grand public, dans un format simple et efficace : des SMS (si on est inscrit au service) alertent sur les risques (en plus des sirènes bien sûr en cas de risques graves) ; une équipe de journalistes alimente en temps réel un compte Twitter pour informer des embouteillages, des manifestations du jour, etc.

On le voit, c'est avant tout une stratégie de résilience des services publics qui est à l'œuvre, mais une stratégie très "descendante" : les citoyens bénéficient de services publics optimisés et d'informations à jour en temps réel, mais ils ne font remonter aucune information au système et ne contribuent pas activement à son intelligence.